La ville est recouverte de la pellicule étoilée des soirs continentaux. Je l’aime ainsi, toute luisante ; on y glisse sur elle, et les reflets éclaboussent la beauté des fuyants, la douceur des peaux mouillées et la lueur des promeneurs et des nomades furtifs. Les goudrons couverts d’un pétrole alléchant accueillent les roues des voitures pressées, toutes aussi brillantes — la laideur contemporaine n’existe alors plus. J’y promène mes cymbales clinquantes, et les pas feutrés de mes souliers qui clapotent transportent ce corps nu, sans pensées, sans histoire. Par endroits, des siphons avalent les derniers rayons, jusqu’à ce que le noir seul subsiste enfin.
Moi, j’attends les cordes, et qu’elles descendent en rappel et me prennent au cou ! — Les sens frissonnent et veulent quitter au plus tôt cet enfer marin : il faut tenir fort la barre, attraper la patience, la tenir puissamment ; jusqu’à ce qu’on n’en fasse plus rien — et alors les badauds voient un autre, un pirate : je m’enroule de ces lianes troubles autant que mon corps frénétique le puisse, et je pousse les galipettes jusqu’au port — ah, j’y plongerais tout entier, maintenant ! Car c’est alors, à l’instant pile de la bascule, que le navire s’extirpe de l’ouragan pour accoster sur les rivages d’îles toutes plus tropicales ; là où il fait bon ; là où il fait chaud ; là où la liberté accueille les plus vieux naufragés et les vierges de l’Espace et du Temps. Dans cette oasis océanique, il n’y a rien que je ne puisse attendre, rien que je puisse vouloir. J’ai laissé derrière toutes mes possessions, et tous les bibelots, et toutes mes connaissances, et tous mes carnets. Et je cours comme jamais, moi qui toujours avance au pas. Je suis nu, oui, complètement ! Et je m’étale sur les plages chaudes caressées par des eaux, de sels colorées, assommé par des soleils tendres — tu n’en as jamais vu de tels. Et là, reposant dans les draps de velours, l’extase d’un coma infini me prend tendrement dans ses bras puissants. Quel bonheur ! que jamais plus l’on ne voudrait quitter.
Ah ! je l’aime ainsi, toute luisante.
Alclan
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